Telling Stories
Un des aspects les plus drôles de mon métier actuel, est le rendez vous client.
Les gens sont incroyables, dotés d'une capacité narrative hors du commun, capables de vous raconter à grands renforts de silences, en y mettant le ton, en faisant des gestes et en vous racontant tous les détails dont on se fout, parce que pour eux, ils sont importants, mais passant sous silence des informations capitales, alors que pour eux ce ne sont que des détails.
Les rendez vous durent des heures, ils expliquent en long en large et en travers, toute leur vie, toute leur histoire, depuis le début.
Il n'est pas rare, quand on les rencontre pour la première fois, qu'ils demandent "par où je commence" et nous répondons comme des buses "depuis le début"......quand 15 minutes plus tard (et croyez moi, 15 minutes c'est long) nous sentons la situation nous échapper et murmurons "venons en au fait" et que la personne nous dit "j'y arrive mais si je ne vous dis pas tout vous ne comprendrez pas", là, on sait intérieurement que c'est parti pour 30 minutes de diarrhée verbale.
Mais c'est tellement bon de les écouter nous expliquer tous les détails comme des acteurs, comme s'ils avaient appris un texte, tellement plein de sincérité, même quand ils mentent avec une conviction inouïe.
J'adore deux choses en particulier, être dans mon bureau pendant que mes collègues reçoivent des rendez vous, et entendre sans vraiment écouter le débit saccadé de leurs clients , surtout quand ils sont deux, et qu'ils se complètent les uns les autres.
La seconde, c'est lire les procès verbaux de police où les gens relatent leur histoire, parce que tout commence souvent par là et c'est tellement énorme parfois qu'on se demande s'ils ont vraiment prononcé ces mots, ou si on est en train de rêver.
Et c'est la même dans la vie courante, les amis, la famille, les gens qu'on rencontrent, qui nous racontent des évènements, avec fougue, avec joie, avec tristesse, avec colère, c'est comme l'exercice du Spountz, avec Fernandel.
Ils sont au taquet, encore emportés par l'intensité de l'évènement, c'est un spectacle vivant.
Bon, je suis comme ça moi aussi, et encore plus depuis que je fais du théâtre, mais je me rends compte qu'on est tous doués pour raconter des histoires.
Pas des mensonges, pas nécessairement, mais la capacité narrative, ce côté "il était une fois", on l'a tous en nous, parfois consciemment et parfois ignoré.
Et que dire de ces moments géniaux dans les films (américains ou non d'ailleurs) où on voit un groupe de personnes et où l'un des personnages raconte la chute, et tout le monde se marre (ou pas d'ailleurs).
C'est un leit motiv trés souvent utilisé par les réalisateurs et les metteurs en scène, seul souci, on n'a jamais la rubrique "si vous avez raté le début de la blague de Gary à la 28ème minute, voici le texte entier" dans le synopsis du film.
Bref, je suis assez fière, de savoir que la plupart des gens y compris ceux que je rencontre dans les geôles du Palais de Justice, sont des comédiens nés, des narrateurs en herbe, capables de raconter des fables aussi bien construites que La Fontaine.
Ayant été moi même (et l'étant toujours puisque vous me lisez) une férue de littérature, (non non, je ne me prends pas pour une romancière, enfin, pas encore), je sais que souvent, on en rajoute un peu pour faire vendre.
Mais eux, n'ont rien à vendre, c'est bien construit, c'est crédible, même quand en ouvrant le dossier on sait qu'ils mentent comme des arracheurs de dents, c'est leur vérité, et c'est tellement incroyable.
C'est pourquoi bien souvent, à l'audience on a l'impression de ne pas avoir lu le même dossier que les autres protagonistes.
La façon dont ils se tiennent pour raconter, les mots qu'ils emploient, le vocabulaire, le ton, les périphrases, les silences, tout y est.
Le Palais est un immense théâtre.
Et la vie? Un théâtre encore plus vaste, une salle de spectacle à ciel ouvert.
Et nous, on est des acteurs, des conteurs, des saltimbanques, des artistes en réalité.....
Tout dépend de ce que l'on y fait, si on veut garder la vedette, si on veut être dans la lumière, si on raconte suffisamment bien nos histoires pour qu'on y croit et qu'on réussisse à convaincre.....tous et toutes que nous sommes.
Le premier rôle, dans nos vies respectives, nous l'avons.
Il est temps de passer derrière la caméra.
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