En mode Verlaine

Il n'y a rien de pire pour une robe noire que de se sentir impuissante, comme privée de ses membres, de la parole ou de la vue.

Comme si on parlait à des gens qui ne nous entendent pas.

Il n'y a rien de pire que d'avoir voulu convaincre et de se rendre compte qu'on est ressorti de là sans que personne n'ait rien retenu de ce qu'on avait dit.

Sept jours, autant qu'il en aura fallu à Dieu pour bâtir le monde, ont suffit à m'envoyer un coup de poing mémorable dans le coeur.

J'ai beau retourner le problème dans tous les sens, pendant que je vous écris mon client de 25 ans dort ce soir en prison pour un crime qu'il n'a pas commis, et je suis impuissante, alors que j'ai déployé une énergie sans limite pour démontrer que les preuves-enfin ce qu'il en restait- étaient cassées par le témoignage oral des uns et des autres.

Et lire noir sur blanc que ce que j'ai démontré n'aura finalement servi à rien, ça fait mal.

Mal au coeur, mal à la robe et mal à la justice.

A quoi sert-t -on finalement si tout le monde se fout éperdument de ce que nous disons?

Pourquoi faire une enquête finalement si ce qui est important ce sont les mots utilisés au début de l'enquête il y a 4 ans et demi, suggérés, au bout de la quatrième audition, et de la 27ème heure de garde à vue?

Pourquoi ne pas juger les gens sur le fait?de toutes façons ils pensent déjà qu'il est coupable avant qu'il ouvre la bouche.

Les heures avant de plaider sont longues, les mensonges de l'accusation sont insoutenables car on leur accordera du crédit, la façon insidieuse de poser les questions, les sourires ironiques, les réactions aux mots qui fâchent, l'aplomb face à l'incompréhension.

Il faut dire que c'est un travail d'accuser.

Mais arriver à un tel niveau de médailles, ça ne permet pas tout.

Et entendre des mensonges, et lire une motivation qui reprend in extenso, à la virgule prés l'ordonnance de mise en accusation du juge d'instruction, ça signifie ni plus ni moins qu'on ne sert à rien.

Alors dans ce pays, il faut s'accuser pour accommoder la justice? la justice ne se remet jamais en question, la justice est narcissique.

La justice se trompe mais ne s'amende jamais, la justice est auto centrée, son risque de récidive est important, elle est dangereuse, elle met des gens en prison sans l'ombre d'une preuve.

Elle est aveugle, sourde et surtout ingrate, elle fait mal, elle détruit, elle ne console pas les victimes en travaillant à force d'exemples, elle confond, elle se trompe, elle n'est pas celle que je pensais.

Je suis terriblement déçue, terriblement attristée, terriblement peinée.

Je ne défends pas souvent des innocents, pas souvent des innocents en liberté, pas souvent confrontée aux menottes qui viennent enlever la vie d'un jeune homme de l'âge de mes frères qui finalement se retrouve en prison en me jurant droit dans les yeux qu'il n'a rien fait.

J'ai rarement entendu dossier plus flou, or si c'est flou il parait que le doute doit profiter à l'accusé.

Et puis ces robes, ce formalisme, ces mises en scène, pourquoi faire?

Dois je devenir une autre?Dois je devenir le cygne noir pour enfin faire cracher la vérité à cette justice qui ne m'écoute pas?

Je suis tellement en colère.....et rien ne vient l'apaiser.

Je devrais prendre du recul me dit on, n'en avoir finalement rien à faire, parce que c'est comme ça.

Mais je ne veux pas croire que c'est comme ça.

Je ne veux pas croire que c'est de cette façon que des gens aussi sérieux que des juges peuvent faire confiance à des sables mouvants.

De témoignages en témoignages discordants, de virevoltes en virevoltes, de témoins anonymes en témoins fantômes, comment peut on se contenter de cela et condamner quand même?

Non vraiment, hier soir, la justice m'a fait mal.

Et j'ai alors réalisé que tous les autres jours de ma carrière pourtant courte, j'ai eu mal.

Et je continue à souffrir.

Je ne sais pas pourquoi je me m'inflige de telles souffrances.

Comprenez bien, je ne souffre pas pour mes clients.

Je souffre de l'injustice, je souffre de l'intolérance, je souffre de la sourde oreille, je souffre de la douleur, je souffre de tout cela.

Et en devenant avocat je pensais que je changerai les choses.

Mais c'est pire!

Maintenant c'est moi qui prends.

Alors, la vie reprend son cours, on retrouve nos appartements, notre cabinet, nos amis, nos habitudes, on pense aux jurés, ont ils compris ce qui s'est passé?Ont ils confondu l'un et l'autre, ont ils fait des erreurs d’interprétation? Comment vont ils se réveiller ce matin?

Je suis triste.

Et comme Verlaine, il pleut dans mon coeur comme il pleut sur la ville.

Je me demande si je ne suis pas un peu trop humaine ou honnête pour faire ce métier.

Je me demande si la réponse n'est pas dans la question.

C'est comme s'évertuer à vouloir remplir un seau percé avec du sable.

C'est inutile et fatiguant.

Hier soir et aujourd'hui en me levant, incomprise et déçue, je passe en mode Verlaine.







Commentaires

Puck a dit…
Je sais que ta peine est immense et que mes mots seront dérisoires mais je pense à toi.

Articles les plus consultés