Don't be sad....
Sur le parking bondé ce matin là, à travers le pare brise on distinguait la forme cubique et bétonnée de sa structure, bien qu'ils aient mis des couleurs, on reconnait bien qu'on n'est pas devant un centre de loisirs.
Et cette pluie incessante et battante, ce froid, tout donnait envie de pleurer.
Je me suis garée entre deux voitures occupées par des gens qui devaient attendre leur tour pour le parloir de 10 heures, équipés, ils buvaient un café pour se réchauffer.
En sortant, ils m'ont adressé un sourire, comme s'ils savaient que j'en avais besoin.
J'ai sorti ma carte professionnelle, une dernière fois, mon permis de visite, et mon dossier, et je me suis avancée sur le parking du bloc de béton.
Comment vous dire, de nombreuses émotions se mélangeaient dans ma tête, dans mon corps, dans mon coeur.
J'ai attendu que les familles entrent dans l'enceinte du bâtiment, qu'ils passent le portique, une bonne demi heure dehors à discuter avec les conseillers d'insertion et les surveillants qui venaient prendre leur tour.
Rien de bien particulier, je l'avais fait tant de fois....je me souviens des premiers temps, et je me dis, même avec l'habitude venir ici c'est toujours quelque chose.
On ne voit rien derrière la vitre teintée, on ne discerne que des formes ça en dit long sur ce qui nous attend. Ironie de la situation, on doit montrer patte blanche pour entrer mais on ne voit pas qui nous laisse entrer....
Patte blanche, c'est la carte pro et le permis.
Une fois entré, on dépose tout sur un tapis roulant comme dans un aéroport, et le voyage n'est jamais le même, même si on en a l'impression.
Et là, une chose me frappe, comme toujours, le bruit cinglant des portes qui se ferment et qui s'ouvrent, l'odeur aussi, y a une odeur.
Je dépose mon sac dans un casier, je passe mon badge, j'avance vers les grandes grilles blanches, entre les bâtiments colorés.
Le vent m'assaille immédiatement et j'ai les yeux qui pleurent.
A bien y réfléchir, ce vent, de face, ça donne pas envie d'y aller, mais c'est important d'être là aujourd'hui.
Ce vent, me pousserait plutôt vers la sortie que vers l'entrée d'ailleurs, mais je sonne, porte métallique, clac clac, deuxième porte métallique, clac clac, troisième porte qui s'ouvre, un ascenseur, cette odeur, qui me colle aux narines, je ne sais pas encore, après six ans, définir de quoi il s'agit.
Encore une porte, et le surveillant m'accueille, on se serre la main, il est sympa, il prend mon permis et il m'installe dans un "box", me propose un café.
Là je lui dis, c'est la dernière fois que je viens ici....Interloqué, surpris, il pense que je lui fais une blague et me taquine et pourtant il comprend assez vite que c'est pour du vrai.
Et mon client est au parloir alors.....je repars assez vite, le temps de lui faire signer un papier par son intermédiaire.
Hier aussi j'étais dans une autre prison, pour voir un autre client, un que je défends lundi, pour la dernière semaine d'assises de ma carrière, en tous cas de cette partie de ma vie.
Et j'ai eu le même sentiment.
C'était fini.
Fini le bruit, fini le béton froid, finie l'angoisse.
Mais sur le parking, quand je remonte dans ma voiture, il y a cette chanson qui passe.
Soudainement, sans prévenir, les larmes montent, ma gorge se noue.
Cette fois, j'ai vraiment senti que c'était terminé.
Je laisse des gens, des gens qui m'ont demandé de l'aide, des gens que j'ai accompagnés, des gens qui avaient besoin d'être écoutés, parfois épaulés, en attendant de savoir à quelle sauce ils seraient mangés.
Leur quotidien ne sera pas chamboulé.
La gamelle passera toujours à 11h30 et la promenade de 10h et de 15h.
Les cours et l'atelier, les parloirs famille.
Le foot dans la cour et les escortes, le bruit, le froid, la sortie, les permissions, les parloirs vie familiale....
Non pour eux, les journées seront les mêmes, même la semaine prochaine.
Pourtant je laisse un peu de moi, auprès de ces gens.
Alors quand les larmes montent dans la voiture, je ne les retiens pas.
Je ne regretterais pas la prison, non ça c'est sûr, vu ce que j'en pense, je ne regrette pas les faits qu'on leur reproche, je regretterais sans doute plus les échanges souvent sincères avec ces gens, souvent bruts de décoffrage, et puis la reconnaissance, l'impression d'être utile, d'être un rempart, un peu d'humanité, quelle que soit leur réalité, leur faute, leur responsabilité.
J'ai compris que c'était terminé.
Voilà, le point final avec les assises c'est ma dernière mission en tant qu'avocat en exercice.
Trés étrange sentiment et en même temps rien d'anormal, quitter un métier qu'on a tant idéalisé, ça fait quelque chose aussi et c'est en quittant les gens qui m'ont montré qu'ils avaient besoin de moi que je ressens ce quelque chose.
Ce sentiment que pour moi nous sommes tous les mêmes, avec des faiblesses et des douleurs, des moments plus faciles que d'autres à vivre, des endroits où il aurait fallu ne pas être et des gens qu'il n'aurait pas fallu fréquenter, des tentations qu'il aurait mieux valu éviter, et aussi, des chances qu'on nous offre.
Je suis repartie du parking, dans ma petite voiture, et j'ai regardé dans le rétroviseur, ce bloc de béton en couleurs.
Il pleuvait toujours dehors, Jean-Jacques chantait toujours dedans, et moi, j'ai pensé que j'avais pris la bonne décision, et que ce petit pincement au coeur voulait dire que j'en avais un.
Je vous embrasse.
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