Lettre à Eric.

Cher Eric, 

Je ne peux faire autrement aujourd'hui que de vous écrire cette lettre, car demain se joue une journée qui restera pour moi, une journée importante.

Si je m'adresse à vous précisément ce soir, c'est parce que vous êtes à mes yeux la personne toute indiquée pour recevoir mes émotions, mes ressentis, mes appréhensions.

Demain, je plaide pour la dernière fois.

Et pas n'importe où, non, aux Assises.

Lieu que vous connaissez , que vous connaissez même trés bien.

Ce lieu où vous avez fait trembler les murs, lieu où vous avez maintes et maintes fois fait éclater la vérité, en tous cas, lieu où vous avez fait rendre la justice, en lavant de leurs accusations des gens qui pourtant étaient désignées comme coupables.

Voilà.

Compte tenu du fait que quand j'étais petite je voulais faire de vous mon métier, et que cette idée folle ne m'a plus quitté durant mes études, longues, et ma carrière, courte, je pense à vous ce soir.

Mes pensées ne vous ont pas quitté quand j'ai refermé la porte de mon appartement, dimanche dernier, le coeur lourd, aussi lourdes que mes valises.

Elles ne vous ont pas quitté quand j'ai traversé la cour en pavés de Saint Omer, où j'ai toujours l'impression qu'avant, au milieu il y avait une potence.

Elles ne vous ont pas quitté quand, mardi matin, au deuxième jour d'audience, j'ai du quitter la salle d'audience à la suspension et ce durant au moins une demi heure, tant je souffrais, sanglotant dans ma robe, que j'aurai voulu vous voir me remuer un peu et du coup, j'ai demandé de l'aide à Alice, votre collaboratrice et mon amie.

Elles ne vous ont pas quitté disais je, alors que le policier chargé de l'enquête de ce dossier avait dressé un rapport à charge contre notre client, à mon confrère et à moi.

Et pour cause, un temps, après la première condamnation de ce jeune homme, que vous aviez assisté en instruction, j'ai pensé, évoqué, la possibilité que vous veniez à ma place le plaider, le sortir de ce cauchemar.

Il n'a pas voulu. Il voyait mon implication et j'ai souhaité à mon tour être accompagnée, ne pas être seule pour revivre cette expérience traumatisante, déjà subie en première instance.

Alors je suis remontée dans le bateau avec lui (en étais-je jamais descendue?) et y ai fait monter mon meilleur ami et éminent confrère.

Depuis une semaine, je me sens mieux, sa présence rassurante à mes côtés me prouve que j'ai eu raison d'y aller.

Ce sera mon dernier combat judiciaire, j'en ai décidé ainsi.

Alors que je louais le bureau du rez de chaussée de votre Cabinet et que ma plaque lorgnait du coin de l'oeil la vôtre sur la porte d'entrée, je me suis souvent demandée si j'arriverais à venir vous en parler, mais je ne vous ai que peu - trop peu - croisé durant ces deux années.

Vous êtes à mes yeux comme l'emblème du métier d'avocat.

Bon personne n'est parfait, mais je vous aime bien.

Et vous, quand vous êtes énervé par une injustice, vous ruez dans les brancards, vous vous indignez, vous levez le poing, vous criez, vous haussez le ton, et moi, j'aime bien ça.

Mais je ne sais pas le faire, que voulez vous que je vous dise.

Alors je ne crie pas, mais je montre que je suis là.

Et je crois qu'on nous a vus, mon meilleur ami et moi, à cette audience, durant ces débats, on nous a entendus, on nous a reconnus.

Cela sera-t-il suffisant?

Démonter un à un, patiemment, chaque accusation, chaque pièce d'une accusation mal ficelée, chaque lambeau de noirceur sur la dignité de notre client, cela nous l'avons fait.

Mais cela sera-t-il suffisant?

Alors mes pensées encore ce soir vont vers vous, Cher Eric, Cher Confrère, et Cher Maître.

Vous qui m'avez donné envie de faire ce métier, et qui êtes plus armé que moi pour en supporter les douleurs et les souffrances, vous qui m'avez accueillie et vous aussi qui me connaissez peu, mais qui m'avez déjà souri.

Demain, je voudrais que vous soyez dans la salle, au fond, au plafond, dans ma poche, quelque part.

Je voudrais que vous me donniez la force de me lever une dernière fois et de convaincre, comme vous, que cette enquête n'a pas été menée comme elle aurait du et que l'homme que nous défendons est innocent.

Je voudrais y arriver, je donnerais tout ce que je possède, de force, de conviction, de fougue, de hargne, et pour cause, je n'aurais pas le droit à une autre chance.

Demain, ce sera ma dernière.

Mais aussi demain, ce sera la dernière fois que je pourrais faire éclater la vérité pour ce gamin, qui n'a rien à faire là où il est ce soir encore.

Oui, peut-être que sans le savoir, ce soir, il passe sa dernière nuit en prison, pour quelque chose qu'il dit, depuis 7 ans, inlassablement, n'avoir pas fait.

Et que je crois.

Alors, Cher Eric, même si vous ne lisez pas cette lettre, même si vous ne pouvez pas faire grand chose pour moi, puisque c'est mon boulot entre autre demain de sauver ce gamin, j'aimerais juste que votre esprit, votre aura, votre force soit avec moi.

Vous n'êtes ni un Dieu ni un prophéte, ni un gourou ni un magicien, mais vous êtes ma référence, et là, je ne vois pas bien à qui d'autre j'aurais pu demander un coup de main.

Comme c'est déjà arrivé, je vous embrasse, en même temps c'est une lettre que vous ne lirez jamais alors je fais un peu ce que je veux.

Et vous prie de croire, 

que même si je m'en vais demain soir, 

Je demeure votre bien dévouée.

Commentaires

La Reine des Pâquerettes ! a dit…
Quelle belle déclaration....
Je penserai fort à toi demain !!

Je t'embrasse
Daphne a dit…
Il mériterait de la lire, ta lettre, cet Eric... Et tu mériterais qu'il la lise.
J'ai eu les larmes aux yeux en la lisant.
Tu as le don de faire transparaitre ton âme lorsque tu écris.
Et tu as une belle âme, assurément.

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