This is it

La journée avait commencé dans un murmure, un froissement de couette vers 7h30 du matin. Normal, mon corps s'est habitué maintenant, impossible de changer le rythme. Ma main a attrapé un livre que j'ai du mal à terminer. En a feuilleté un autre, que je n'ai pu m'empêcher de commencer. Bianca a miaulé, la faim sans doute, mais j'étais blottie au chaud, prenant des nouvelles des uns et des autres, discutant avec l'une, souriant par écran interposé, riant de nos petites vannes, de nos petites manies.
La matinée s'est étirée comme ça, de café en tartines, de radio en oeuf à la coque, de double-coeur et d'écrans lointains. Toujours quelques pensées pour les uns et les autres, pour ceux qui luttent et ceux qui subissent, pour ceux qui aimeraient être aimés, pour ceux qui ont encore de l'espoir.

J'hésitais sur le film à aller voir, le soleil "passait son bras par la fenêtre", les bruits de la manifestation agricole me parvenaient par les baies vitrées ouvertes et ses éclats de voix en bas, tout près. Un dimanche sans travailler, un dimanche sans se préoccuper de nombre de signes (cela dit à force de les compter, il m'apparaît normal qu'ils soient devenus un automatisme) ou de cartons à placer pour m'avancer. Un dimanche quoi.

J'ai fini par prendre une douche, brûlante, m'enveloppant dans un pull doux, un jean confortable et lacé mes doc's vernies pour me sentir bien à l'aise.J'avais décidé de partir à pieds. Un dernier tour sur les réseaux sociaux (manie à la con je te hais, je te maudis), pour checker si tout allait bien, partout en France, en Italie, au Québec, sur la lune.... (la mère juive qui cohabite avec l'enfant intérieur en moi a re-posé ses bagages, saleté).

Voilà. Sans crier gare, en scrollant mon fil d'actualité, des mots me mettent un aller-retour. Il a suffi de quoi? Trois secondes? Pour un bon uppercut en bonne et due forme. Pas de douleur hein, une colère sourde, une envie de crier très fort avec beaucoup d'écho pour que ça se cogne dans toute la chaîne des Aravis: COHÉRENCE BORDEL! Ah la la, je suis sensible hein.

Bref, j'ai posé mon portable. Éteint l'appareil du diable, branché l'appareil du diable, loin de moi, et suis partie sans lui. Je me suis accordée une pause sans interférence visuelle, sans vibration de poche, sans son. (Pas Véronique, l'autre). Accumulation de fake news, accumulation de faux-semblants, poursuite d'un faux bonheur, mises en scène, bref. J'ai l'habitude, j'ai juste fait une petite crise de foi (e) en l'être humain.

J'ai caressé Bianca, j'ai descendu les marches, et tout le reste s'est fait en pilote automatique. La foule qui se presse entre les étals de rebloch' et les cloches des alpages, les gens qui se collent et te serrent, on piétine, je suffoque, je finis par atteindre la zone libre et remonte toute l'avenue le long du lac pour arriver au ciné, en avance, mais j'ai speedé puisque je n'avais pas l'heure (désorienté sans le truc du diable en question, on n'a même plus de montre! Nan mais!) 

J'ai chaud, je transpire, toujours du mal à respirer. Je fouille au fond de mon sac pour trouver de la monnaie et m'acheter une bouteille d'eau. Je file aux toilettes, le film est dans 30 minutes en réalité. Je me passe de l'eau sur le visage, m'adresse à mon reflet cerné et hagard: "c'est pas ta vie! c'est pas ta vie! on s'en fout de la vie des gens! ON S'EN FOUT tu m'entends?" Le reflet fait mine d'avoir compris. J'ai pas confiance, je le garde à l’œil. J'ai tous les symptômes d'une overdose de faux. En retournant m'asseoir, je sors un stylo et note furieusement sur ma main, ces trois mots "this is it", pour ne pas l'oublier. Excellente idée de tatouage. Note pour plus tard.

Le film commence, enfin. Je me suis passée la bouteille fraîche sur le visage, sur la nuque, sur le cou. Je ferme les yeux, prends deux gouttes de fleurs de bach. En ouvrant les yeux, Edouard Baer est là, comme toujours quand j'ai besoin de fantasque, de léger, d'envolées lyriques et de beaux mots pour laver mes yeux de tous ces mots faux qui ont creusé mes pupilles et éclaté mes tympans une heure plus tôt. 

Je ris, je pleure, devant cette histoire de vengeance du XVIIIe, ces gens qui instrumentalisent les autres, ces manipulations mues par un cœur meurtri, ces faux-semblants en costumes d'époque. Encore, encore, encore. Décidément. Mais c'est bien amené, et c'est joli. Je cherche mon prénom au générique, comme toujours depuis le générique du club Dorothée, depuis 30 ans. Rien n'est perdu.

En sortant, je n'ai toujours pas décroché un mot. Et pour cause, je suis seule. En fait je suis en tête-à-tête avec moi-même. Je repasse ma veste, et mon sac accroche la licorne que je porte à la boutonnière. Je fais marche arrière, je ne sors pas sans elle. Le fermoir s'était fait la malle, il scintille, je respire.

Hop me revoilà dehors et il fait encore jour. La place Sainte-Claire est bien occupée, les terrasses sont pleines de gens qui cuvent leur soirée de la veille, prenant le soleil comme prétexte pour garder leurs lunettes noires. Bourge à souhait. J'arpente les rues, sans musique, sans un bruit, je mouline pourtant, je me dis que je vais écrire, j'ordonne les mots puis j'efface tout. Je sens l'émotion me gagner. Bordel, ici, vraiment? Je respire lentement, tente de retrouver un calme intérieur. Rien ni personne ne pourra jamais expliquer mon état, rituel, classique, de ces moments-là, nombreux et récurrents depuis près d'un an. Et ce mot qui revient sans cesse, ce mot, ce concept, cette obsession, ce gimick,"cohérence".Je me demande comment je vivais avant? Comment vivent les gens sans ce truc qui tombe sous le sens? Dois-je les aider? Qui m'a aidée déjà? Ah oui, moi. Merci du coup, pour ça.

Ce rejet absolu du fake, ce rejet absolu de ce qui ne s'aligne pas. J'aimerais tellement tirer ceux qui s'infligent des peines qu'ils ne méritent pas hors du champ de ladite peine, j'aimerais tellement dire à ceux qui s'enferment dans un cercle vicieux qu'une autre issue est possible, effacer la douleur, rembobiner les mots dégueulasses. Mais voilà, la vie est ainsi faite que je ne peux que prévenir et réparer. Et que les événements doivent naturellement avoir lieu. Eh bein allez-y vautrez-vous dans la douleur, t'façons je viendrais vous consoler, donc....patience.

Je ralentis le pas. La lune se dessine, presque pleine et prépare déjà sa place près des montagnes, le lac se découvre, à moitié nu. Les gens se pressent, se prennent en photo, marchent sur l'eau. Combien sont-ils à être venus juste pour voir ça de leurs yeux? Le désastre climatique? C'est pas pour autant qu'ils ramassent les merdes qui tombent de leurs poches tu me diras. Là-haut, ça mouline. Je remonte le long des quais, encore des cygnes, encore des barques, comme dans un film,sur le pont des amours, trois musicos se testent sur "hôtel california". Cette chanson....ici, maintenant. Pourquoi?

Je traîne la patte, retarde le moment où je ne percevrais plus la moindre note, comme pour prolonger la douleur. (Masochisme de l'époque, faire durer le mal, cqfd) l'émotion revient. Je laisse couler, je n'évite même pas le regard des gens, je regarde le lac, les gens debout, à vélo, en famille, avec leurs chiens bref, les gens quoi. 

Une nuée d'oiseaux virevolte au-dessus de ma tête, je sais que tout ira bien, ma respiration revient. Les couleurs des feuilles, les marrons à mes pieds, le soleil couchant, les oiseaux tagués, les gens qui se parlent, s'embrassent, se prennent la main, me réconfortent. Y a encore des trucs vrais. Là, connement, je me dis que j'ai éteint mon portable depuis quatre heures et je souris à l'idée que des gens aient pu s'inquiéter de mon silence. "Mais non, t'es con toi. Bein ouais, je sais."

Je retraverse la fête du terroir qui a maintenant des relents de viande saoule et de dégaines avinées. La jet-set annécienne tape son dernier cubi avant de remonter en vespa. Je songe aux habitudes qu'il est temps que j'instaure pour m'accaparer la ville. Je songe à tout ce qu'il me reste à découvrir, ça va mieux.

En ouvrant la porte en bas, j'entends Bianca qui miaule. Un jour, je n'entendrais plus ce petit miaulement et je ne veux même pas y songer. Ce jour-là, j'espère avoir assez d'argent pour partir faire le tour du monde pour ne pas y penser. En attendant, elle vient me faire la fête, se frotte contre mes jambes. Je rallume l'objet du mal. RAS. Tout va bien. Je fais de loin le tour du saint cordon (Insta, Twitter, Facebook) comme anesthésiée. Comme si quatre heures loin de ce boîtier avaient suffi à guérir le syndrome des doigts impatients de faire exister un avatar de moi (pour quoi faire déjà?)

Je repense qu'au ciné, ils vont repasser Amélie Poulain, pour leurs 40 ans d'existence. Je devrais faire des cures 90's plus souvent. Sans portable, avec un stylo et des carnets pour seuls accompagnants. 
Je devrais revenir plus souvent à moi. 
Et ne pas laisser la fausseté entacher mon enthousiasme, cisailler mon authenticité, brouiller mes yeux et mon cerveau. C'est pour m'en souvenir que je l'écris. Des mots pour embellir les maux.
Il fait noir maintenant, la lune à moitié pleine joue à cache-cache avec les Aravis. Bianca court partout dans l'appart" et je vais lâcher mon écran. 
Une dernière question me taraude pourtant, faut-il vraiment que je m'adapte à ce que je ne comprends pas? 
J'en ai bien peur. This is it.

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