The Show must go on and on, and on, again.
Une fois n'est pas coutume...les éclairs de lucidité qui viennent montrer le chemin sont le fruit de réflexions très approfondies, surtout sur ce blog, n'est-il pas?
Au cours de mes pérégrinations quotidiennes, au volant de la campi-mobile, et après quelques 13000 kilomètres, j'ai eu le temps de cogiter.
La chose qui me saute aux yeux, c'est ce que l'expérience professionnelle m'a apporté: 18 ans que je travaille, dans des secteurs divers, dans des lieux et des fonctions différentes. Et une chose ressort, inéluctablement: les conditions de travail sont le minimum vital pour tout travailleur, salarié ou indépendant.
S'il est vrai que le travail est un créateur de liens, il peut rapidement devenir aussi une belle forme de souffrance, si l'humain oublie de se respecter.
Sans un minimum de vigilance, les meilleures volontés peuvent être mouchées en un revers de main, et les espoirs s'envoler. Pour quelles raisons?
La première d'entre elles, me semble-t-il est le sens.
Quel sens a notre travail? On se pose cette question entre 30 et 40 ans, visiblement. Il est donc normal que depuis 8 ans, je me sur-pose cette question essentielle. J'ai réfléchi, croisé les témoignages, discuté avec beaucoup de professionnels, quels qu'ils soient. Toujours revient ce refrain: j'ai besoin de connaître le sens de ce que je fais, j'ai besoin de donner un sens à mon travail, au quotidien. Privé de sens, nul ne peut s'épanouir. Privé d'épanouissement, nul ne peut être bon ni dans ce qu'il fait, ni dans son estime de lui-même.
La seconde raison, c'est le fait d'avoir tant la tête dans le guidon, qu'on ne peut plus prendre de hauteur. Et pourtant, ça semble essentiel, prendre de la hauteur, du recul, appelons-le comme nous voulons. Je vois des gens souffrir au même poste depuis des années, le constat était déjà celui-là quand je portais la robe, il est identique aujourd'hui. Ils ne partent pas, parce que la peur du vide les tétanise. Je ne vais pas ici mentir, le vide m'a tétanisé, quand je me suis retrouvée, par choix, du jour au lendemain chez moi, au chômage, après 10 ans d'étude et 5 ans à exercer un métier terriblement fantasmatique pour tous. J'ai eu peur, j'ai dû me mettre en action. Mais je ne regrette nullement ce choix et ne retournerai pas en arrière. Quand bien même mes décisions ne seraient pas les bonnes, j'irai de l'avant, pour se tromper il faut déjà essayer quelque chose. C'est toujours mieux, me semble-t-il, que de rester immobile. En tout état de cause, se noyer dans le travail, ou se laisser submerger par les tâches quotidiennes n'aide pas à y voir plus clair et fait perdre la lucidité. Et on se réveille un matin, empêtré dans une vie qui n'est pas la nôtre avec une violente prise de conscience: la vie est courte!
La troisième raison, qui m'apparaît la plus importante des trois, c'est la joie. La joie de créer, la joie de partir chaque matin à l'assaut d'une nouvelle aventure, la joie de modifier sa routine en changeant de chemin, en innovant, en prenant des initiatives, en étant capable de trouver, en commun ou seul, une solution pour les problèmes qui peuvent survenir dans notre entreprise. Sans joie, à titre personnel, je ne trouve ni sens, ni hauteur à ce que je fais. Il semble que je sois une personne qui surmonte les obstacles, qui cherche des solutions, qui essaie d'améliorer le quotidien, et le quotidien de beaucoup, c'est le travail. Le prestige n'est pas plus intéressant que l'intérêt de ce que nous créerons et dont nous pourrons être fiers en repartant chez nous. Mais que faire, quand les problèmes que nous observons sont cachés sous le tapis? Quand les solutions que nous souhaitons essayer sont écartées sans même être envisagées? Et bien deux choix. Faire comme si et s'en accommoder, ou bien décider, de manière cohérente avec soi-même, que l'on ne peut pas avancer de la sorte, alerter et partir avant que les séquelles de l'immobilisme soient irréversibles, pour soi et pour les autres.
De manière générale, j'ai besoin d'aller au bout des choses pour ne rien regretter. Aller au fond de l'expérience, taper le sol des profondeurs et remonter me sécher sur la rive. Je pense aujourd'hui, avec émotion et fierté, être capable de déceler les fausses bonnes idées avant de me prendre les murs qui m'ont causé plus d'une migraine par le passé. Mes idées ne sont pas extraordinaires, mais à chaque fois qu'elles ne sont pas suivies, elles reviennent sous d'autres formes quelques années après.
Quand j'ai quitté les robes noires, je pensais le faire à pas feutrés et j'ai fini par me retrouver sur un plateau télé pour expliquer comment notre métier était sous-évalué et combien il était difficile de l'exercer sans moyens. On m'en a voulu, beaucoup. Deux ans après ce que j'avais "dit" à voix haute était sur les banderoles des avocats qui manifestaient à Paris. Encore trop tôt. Mais pas faux.
Que faire alors face à des situations complexes et que l'on sent tendues, mais que seule une poignée de personnes veut faire évoluer? La majorité se tait, par peur du vide, de la sanction, de la mise au ban....Comment en est-on arrivé à cesser le dialogue clair par crainte de perdre son emploi? Comment peut-on faire fonctionner une société, si les parties ne s'écoutent pas? On voit aujourd'hui gronder des gens en gilet fluo dans les rues, que veulent-ils? Comme à chaque fois, être entendus. Comme toujours être considérés. Avec les moyens du bord, en bloquant tout ce qui roule, sans coordination. On peut leur reprocher leur manque de clarté, mais on peut aussi constater que les mesures qu'ils contestent, parmi tant d'autres, dont la réforme de la justice, sont absolument obscures et inéquitables. Alors, œil pour œil? Pas sûre de l'efficacité de cette méthode....
Dans nos entreprises, on voit parfois ce genre de phénomènes: les messages obscurs, les éléments cachés, l'absence de clarté, de cap, de direction, redescendent en cascade sur les épaules des salariés, sommés d'obéir et de ne pas faire de vagues. Cette expression n'a-t-elle pas été utilisée récemment, dans les rangs de l'éducation nationale? Ne pas faire de vagues? Plier et obéir? Rentrer dans le moule? Quitte à annihiler les individualités? Compliqué à accepter, non?
Aussi, les expériences professionnelles de ces quasi 20 dernières années m'ont-elles appris, enfin, quelque chose. Je ne démérite pas. Et mon parcours, certes "atypique", pour ceux qui n'osent pas, témoigne de ma détermination, à trouver la place qui me convient. Pas une place dont je doive m'accommoder donc, pas une place tant bien que mal, une activité qui soit en accord avec ce que je suis, mes valeurs et ce que je sais faire. Y a bien deux trois trucs que je maîtrise, et j'ai de l'enthousiasme. Beaucoup.
Il aura suffi d'un accrochage bénin avec un motard un soir de novembre pour que la lueur surgisse. Que fais-tu là ma grande? Pourquoi es-tu ici? Qui sont ces gens qui t'entourent? Que fais-tu exactement de ta vie qui te rende fière de porter ton nom et de le signer en bas de tes écrits? Ne devrais-tu pas reconsidérer tes choix? Ne devrais-tu pas t'accorder le temps de la réflexion? Encore une fois, j'ai fait le point, je me suis assise à la table des négociations avec moi-même, j'ai recoupé les informations, fait les colonnes pour et contre, dressé la liste de ce que je voulais et ne voulais plus, des certitudes et des doutes à dissiper.
On avance. On avance oui, parce que l'immobilisme me fait encore plus peur que le vide, parce que je suis consciente des bagages que je transporte, après un bon petit tri, parce que des années de thérapie ont été utiles à mon état actuel, et parce que depuis très longtemps, je me sens bien géographiquement, alignée intellectuellement et libre. Y compris de me tromper, de raturer, et de réécrire une nouvelle page. Parce que la seule chose dont je sois sûre, Lison pourrait vous le dire et ce depuis longtemps, c'est qu'écrire est ma voie. Et ma seule voi(e)x, témoin de cette époque, témoin de ce que nous sommes, témoin de la vie.
Souvent, on me demande comment se passe "ma nouvelle vie", fasciné que l'on est de cette pluralité que j'ose m'offrir. C'est la même. En mieux, à chaque fois. Une vie n'est pas faite pour être monotone, elle est déjà tellement courte, pourquoi perdrais-je mon temps à n'endosser qu'un seul costume sur cette scène? Show must go on, malgré tout, après tout, avant la fin.
Ps: ces choix et réflexions n'engagent que moi, avec mon passé, mon passif, mon actif et mes particularités. Chacun peut trouver sa voie. Je veux juste vous dire de ne pas avoir peur.
Ce n'est pas facile, mais c'est vivifiant.
Je vous embrasse.
Commentaires