Proportionnel et léger

Qu'est-ce qui est grave? Et qu'est-ce qui ne l'est pas?

Elle a l'air bête ma question, ou bien sa réponse évidente et pourtant il m'a fallu du temps, pour y répondre. En public, dans mon comportement, j'entends. Parce que sinon, moi, j'avais tout de suite compris que ce qui m'était présenté comme grave ne l'était pas tant que ça dans 90% des cas.

Revenons un peu en arrière dans l'histoire. Petits, on nous apprend, ce qui a de l'importance, on voit, on observe, on entend, ce qui fâche, ce qui est essentiel, ce qui ne l'est pas, les principes et les idées qui peuvent évoluer sans jamais tuer personne.

Dans certaines familles, tout est amplifié, déraisonnablement exagéré, exacerbé. Tout rouleau de papier toilette terminé non jeté à la poubelle peut entraîner une tragédie, toute explication (puisqu'elle arrive après des mois voire des années de rancœur) prend des allures de règlement de compte final (the final countdown, genre après c'est le néant), chaque question ou sujet doit être pesé, soupesé et bien réfléchi en amont, anticipé, avec trois scénarii à la clé et surtout il faut garder son calme. En gros, si vous vous souvenez de Mary Poppins, le coup de canon tiré par le voisin des Banks, tous les jours à heure précise, où tout le monde se tient à son poste pour tenir les objets de valeur, vous visualisez bien la scène de chaque micro-moment familial, pour certains d'entre nous.

Il y a des gens chez qui on peut dialoguer, des parents qui écoutent, qui ne prennent pas la mouche, qui relativisent et donc, de facto apprennent à leurs enfants à ne pas dramatiser. Ce qui fait des adultes à peu près équilibrés, qui n'ont pas peur de parler franchement, de dire les choses, et du coup, de déclarer leurs émotions sans passer par des cours de PNL. 

Et il y a beaucoup beaucoup de gens, qui ont eu une enfance commedia dell'arte. Tout est tragédie, comédie si on prend de la hauteur (vers 40 ans par là). Mais si ça peut prêter à sourire, c'est pourtant difficile à vivre et ça a une incidence folle sur la vie d'adulte, la capacité à s'engager, la capacité à prendre des décisions, les rapports aux autres, les discussions, le travail, les relations amoureuses, et j'en passe. 

Quand on a été "conditionné", dans un modèle commedia dell'arte, on déteste le conflit. ON DÉTESTE LE CONFLIT. On le craint, on craint que tout s'écroule à tout moment, on ne veut pas entendre crier, sentir notre sang s'échapper de nos veines de peur et se contorsionner pour ramener tout le monde à la table des négociations parce que quelqu'un a pris le dernier yaourt dans le frigo, ou n'a pas rincé sa douche, ou n'a pas jeté le fameux rouleau de papier toilette. Imaginez pour demander un truc plus important? Signer un carnet, recevoir un bulletin, demander une autorisation de sortie, demander à aller en soirée avec vos amis ou au cinéma, avoir un amoureux ou une amoureuse...

Le moindre sujet amène chez nous la mise en place d'un bouclier, comme si on était des power rangers un peu, on se transforme en guerrier, pour parer: les piques, les cris, la communication passive agressive, les remontrances, l'attitude non verbale, la fuite, le mutisme, la colère. Nous on voulait juste aller au cinéma...

Maintenant, on transpose à l'âge adulte: on travaille avec des gens qui ont été conditionnés comme nous, mais qui ne le savent pas. On s'efface, on se tait, on rase les murs, on ne dit plus rien, on retient son souffle. On ne demande pas d'augmentation, on ne réclame pas de droits, on ne râle pas, on acquiesce. Pourquoi? Pour avoir la paix. Parce que le moindre petit éclat de verre peut prendre une proportion extravagante, on le sait. Parce qu'on sait trop comment ça va finir, on se revoit, s'épuiser à parler des heures, on cherche déjà mentalement des solutions, on en perd le sommeil, l'appétit. On ne sait plus communiquer. 

L'a-t-on vraiment su? Quand on nous a fait trébucher dans la cour, que l'on a riposté, qui a été puni? Quand on a eu une heure de colle collective, qui a été privé de sortie? Quand on a dénoncé des injustices, qui a été mis au ban? Quand on s'est élevé, qui a été rejeté? Voilà, on aura essayé et du coup, comme tout a pris des proportions démesurées, on a choisi de SE TAIRE.

Je pense que ça parle quand même à beaucoup d'entre nous, ce que j'expose là. Mais est-ce une fatalité? Eh bien je pense que non.

J'ai vécu, trois ans de brouillard intense. Je n'ai pas bien tout compris, mais une chose est sûre j'ai appris la patience (et je n'aime toujours pas ça, mais j'accepte) la tolérance à la frustration, l'abnégation, ça c'est dans mon adn, et surtout la relativité. 

J'ai appris à me demander si ce qui se jouait était grave, ou non, à redonner aux événements l'importance qu'ils devaient avoir, à replacer les choses dans leur contexte, à me calmer. Je n'ai pas encore totalement réussi, mais j'estime être en bonne voie, comparé à ces trois dernières, que dis-je ces 38 dernières années. 

Cette année, qui précède mes 40 ans, je me suis fixé un seul objectif auquel je travaille sans relâche, pourtant j'ai parfois du mal à me concentrer: lâcher prise. C'est suuuuuuuper dur. Surtout quand on a la commedia dell'arte comme modèle de base. Je tente de prendre BEAUCOUP de recul, face aux gens, aux réactions, aux comportements. Je m'adapte, là où je me suis suradaptée, j'accepte les gens comme ils sont, mais j'attends en retour d'être acceptée comme je suis. 

Il n'est plus question pour moi de tenter d'être une autre. Je suis gentille, pas idiote. Je suis empathique, pas privée de caractère. Je suis raisonnable, pas excessive. Tant pis pour ceux à qui cela ne plaît pas. J'ai quitté il y a bientôt 2 ans, ma région, mes amis de toujours, mon "confort", et ce que j'avais toujours connu. J'ai idéalisé ma vie dans ce nouvel endroit, j'ai craint mais néanmoins j'ai cru, que ce ne serait pas si difficile que ça, parce que j'y avais trouvé, croyais-je, des amis solides. 

Si je fais le bilan, ce n'est pas DU TOUT ce que j'avais imaginé, qui est ma réalité aujourd'hui. Pas du tout. C'est très différent mais ce n'est pas GRAVE. J'ai encore quelques illusions, j'ai encore beaucoup d'idéaux, et pour le moment, je suis ici, et maintenant. Alors je compose, je prends les citrons que m'envoie la vie et j'en fais de la citronnade. Qui sait de quoi demain sera fait? Personne. Qui sait où nous serons, vous qui me lisez, moi qui vous écris, dans un an, dans dix, dans vingt? 

Le fait est que, brouillard épais ou non, j'ai co-fondé un média, et je pense qu'il est voué à devenir un grand média. J'ai rencontré des gens intéressants, d'autres formidables, certains essentiels, d'autres qui m'ont sans doute (et continuent à le faire) appris des choses sur moi, si je consens à les observer plutôt qu'à les rejeter. Je mène ma petite barque, seule. Oui, je suis absolument seule ici. C'est la vérité nue, c'est la vérité crue. Et c'est ce que je dois vivre, pour m'élever. Et vous savez quoi? Ce n'est pas GRAVE. C'est comme ça. Mais si j'ai souffert, beaucoup, pour sortir de ma coquille, je me sens prête à m'ouvrir aux autres. Je serai toujours seule, mais je me nourrirai des couleurs de chacun, et je poursuivrais mon chemin. Ici, l'air de rien, en deux ans, j'ai déjà exercé 4 boulots différents et j'en ai créé un. Mes expériences passées m'ont donc permis d’accélérer le mouvement. Mon cœur, bien que chahuté, est toujours en place et bat.

Alors que faire? Si ce n'est "un pas de côté" une petite pause pour avoir une vue d'ensemble et changer d'angle, inspirer et expirer, devenir soi, s'incarner, refuser, tiens, juste pour voir. L'instant d'après, tout sera identique, sauf nous. On aura été juste, et on se sentira léger. J'ai testé pour vous. Contredire si on n'est pas d'accord, affirmer si on est sûr de soi, être gentil, si on a envie d'être ce qu'on est, assumer, encourager si telle est notre nature. Soyons nous tiens. Rien n'est vraiment grave, tant qu'on est là pour en parler. (Ma marraine valide ça)

Ma leçon, c'est donc de sortir de la commedia, pour être plus proportionnelle, encore plus juste et cette fois envers moi, puisqu'envers les autres je sais faire, et d'être plus légère, plus souple, plus calme. Je transmets ce que j'apprends. Tout ira bien, je le sais maintenant. 

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