Croche-pied

Je suis re-tombée.

Je marchais vite, c'est vrai. J'ai été distraite, c'est vrai aussi. Par un bruit, celui, poussif, d'une voiture qui tentait de monter une côte en première, ce qui faisait tousser le moteur. Et j'ai senti cette sensation familière. Le quart de seconde où l'on sait ce qui va nous arriver: la chute. Inévitable, lourde, mais classique somme toute, pour quelqu'un comme moi.

Je suis donc retombée, comme avant. 

Comme avant toi. Comme avant ton malheur, ta douleur, tes cheveux courts et tes coups de froid aux oreilles. Comme avant que tu ne partes vers des cieux sans doute plus bleus, si près du soleil, où on n'est jamais vieux.

Je me suis retrouvée par terre aussi vite que possible, pas le temps d'y penser, la vie, quand elle te fait des croche-pieds, elle se barre en riant, comme un gamin de douze ans. Ma main droite, mon genou droit. mes affaires éparpillées autour de moi. J'ai pris mon temps pour tout ramasser, me relever, m'épousseter. 

J'ai essayé mon genou, il répondait en faisant la grimace. J'ai ramassé mon sac, je n'ai même pas pleuré. L'habitude sans doute. (L'ex)périence. Je suis remontée en voiture, j'ai senti sous mon collant, que le sang était sorti, j'ai dégainé un mouchoir, mis le téléphone en mode gps,  un vieux rock à fond la caisse et j'ai décidé que ça irait. J'en ai vu d'autres, on va pas se laisser abattre pour un croche-pied.

Étrangement, le contact avec le sol m'a réveillée. Secouée. Reconnectée. J'ai pensé à mon magicien, bien loin de moi, ça commence à faire long, vous ne trouvez pas? Aux blessures de réparation. Aux chutes qui veulent dire quelque chose. J'ai réfléchi, à quoi pensais-je avant cette chute? A qui sans doute, si je veux être très honnête. A quoi surtout. Ces vicissitudes du quotidien qui touchent les autres et froissent mon existence...depuis combien de temps, et pour combien de temps? J'ai la réponse à cette question bien sûr: jusqu'à ce que tu rendes ton dernier souffle, ma grande.

Alors, la vie se moque de moi, elle est marrante. Mon genou droit lui fait la grimace, c'est clair. Il a mal, le sang coule encore, le rock tourne, Duck Ellington, Louis Prima, cette fin de "Just a gigolo" qui me fait revivre le rire de mon grand-père, je ne pleure pas. Rester concentrée. Au dernier rond-point, une voiture se fige alors que je m'engage. On s'évite de peu. Tout est électrique dehors, les arbres se couchent, le vent annonce la tempête, le climat des derniers jours n'a pas aidé et les gens sont sur-énervés. Les giboulées, le tonnerre, tout conspire. Ma main, sang séché et griffures de la chute, mon genou, à désinfecter. Je suis encore sonnée.

Tout ça c'est quoi en fait? Si ce n'est un avertissement: "ralentis, concentre-toi. Calme-toi, détends-toi, écoute-toi. Mais surtout, recentre-toi, quand la tempête guette le monde, car il aura besoin de toi, et toi tu auras aussi besoin de toi, de tes forces, de ton énergie."

Bref, je suis retombée, comme avant, comme quand tu étais là. 

Je pensais que ce serait en amour, la prochaine fois. Oh, ça je sais le faire va. C'est l'inverse qui est plus délicat, voire même assez rare, dois-je bien le reconnaître... Bein c'est raté t'as vu. Juste un croche-pied.

Comme si j'avais besoin de ça, pour penser à toi.

Peut-être que c'était toi, en fait, qui me l'envoyait, pour me secouer. Si c'est ça alors, merci ma biche.J'ai reçu le message, racheté de l'arnica. Mes pansements "reine des neiges" me vont comme un gant, si tu voyais ça. Mais tu le vois, j'suis sûre, tu te marres bien au moins?

La prochaine fois, essaie un truc plus doux que le bitume, un truc moelleux, ça pique un peu là.

Un croche-pied, ...si ça se trouve, des fois, c'est pour notre bien, surtout s'il vient de si loin.


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