De l'autre côté du miroir
Ce n'est que lorsque l'on a fait le silence, lorsqu'au fond de nous, l'ego a fini par se taire, las de n'être pas entendu, que l'on peut traverser le miroir, voir ce qui se cache derrière, au-delà des apparences.
Quand les jours, les semaines, les mois s'égrainent, que le manque qui nous consume nous est jeté à la figure par l'orgueil, les blessures de rejet et de peur, voulant nous démontrer que nous ne manquons à personne, que l'envie de nous voir nous, n'existe nulle part et pour quiconque, que nous ne sommes pas importants, que nous ne signifions rien...une fois dépassé tout ce vacarme égotique, nous finissons par entrevoir une porte.
Derrière elle, se cachent d'autres ressentis, d'autres mots bloqués dans la gorge, d'autres peurs, d'autres blessures, que nous ignorions jusqu'ici. Non pas par dédain, non. Juste parce que personne ne nous en parlait et qu'il nous fallait passer outre nos propres turpitudes pour pouvoir ne serait-ce que les entrevoir. Nous voilà, hésitants, jetant un cil, un œil, poussant d'une main hésitante cette porte en espérant qu'elle ne grince pas, de peur d'éveiller ceux qui tentent désespérément de la tenir secrète, discrète, cachée, peut-être plus tôt qu'ils ne l'auraient voulu. Mais elle est bien là, nous nous y trouvons. Alors, à ce stade, que décider? Rebrousser chemin, faire "comme si", se cacher encore derrière un masque? Ou bien, déciderons-nous d'affronter pour une fois la réalité, de voir la vérité telle qu'elle est sans s'en détourner, sans avoir peur, sans stratagèmes ni contournements?
Il se passe, au-delà des apparences, au-delà de ce qui semble l'évidence, des choses, des tempêtes, des remous, des tsunamis, chez ceux qui sont chers à nos cœurs. Ceux qui sont passés maîtres dans l'ellipse, ceux que nous avons sentis à des milliers d'années lumière de nous durant des jours, des semaines et des mois. Séparés, perdus, inquiets, tristes donc, évidemment, comme pourrait-il en être autrement ?
Et pourtant, c'est après la dernière vague d'émotions contrastées, que sur la plage de notre âme se dévoile enfin une autre réalité que celle fabriquée par notre ego. Soyons indulgents avec l'ego, il nous a tant aidés à survivre quand rien n'allait, quand il nous fallait tenir bon; il nous a tendu les bons masques pour avancer incognito dans des situations complexes, il nous a prêté son plaid pour traverser les blizzards, il nous a consolés, tant de fois. Mais là, il ne peut plus rien pour nous. Grâce aux nerfs, nous avons tenu la distance durant le temps réglementaire. Mais le temps s'est allongé, les heures ont continué à s'empiler. Aucune âme qui vive à l'horizon... Pourquoi a été notre question quotidienne. Pourquoi ce silence, pourquoi cette distance, pourquoi cette froideur, pourquoi ce ton, pourquoi ces mots, pourquoi cette indifférence, pourquoi pourquoi pourquoi jusqu'à devenir ivres de questions! Mais que se taisent ces pourquoi insupportables, que cesse ce bruit, stop. "il faut que se passe quelque chose, un signe, un mot, il faut que survienne un choc" tournait comme une feuille sous le vent de la tempête...dans notre tête.
Un jour, l'énergie, puis deux, puis trois puis...patatras. On recommence pour un tour de larmes, de chocolat aux noisettes entières salé, de pleurs incompressibles, d'attaques de panique, de douleurs intercostales, de tension, de palpitations. La tempête passée, on reprend espoir, et on réalise en prenant de la hauteur que ça fait un moment que ça dure. Retour de la question lancinante: pourquoi? N'étions-nous plus à notre place, étions-nous dans l'illusion, à quel moment cela a-t-il basculé? Nous voilà dans les bandes de la mémoire jonchées sur le sol de nos souvenirs. A chercher, à fouiller, à remonter le temps. Depuis quand tout va-t-il si mal? A quand remonte le temps de la discorde? Quand le disque a-t-il déraillé sur les rails de nos moments d'exception?
Cette longue période, qui s'étend de l'automne à l'été qui s'apprête à démarrer, a été faite de hauts et de bas, de spleen et de joies, d'isolement, de frustrations et surtout, de silences. Longs silences, innombrables non-dits, absences, non-sens, violence verbale, souvent malgré soi.
On comprend mieux, en poussant cette porte, ce qui s'est passé, quand le papier à musique a été déréglé. On remonte donc les horloges, les montres, les pendules, on constate qu'il a fallu de la force pour traverser tout cela. Octobre, novembre, décembre, janvier, février, mars et points de suspension, parce qu'avril et mai ont été une parenthèse, une anti-chambre, un sas entre le monde d'avant, et le monde d'après. Les mois d'un confinement dans le confinement, d'un isolement dans l'isolement, d'une double distance d'insécurité, d'une double peine. Par quel maléfice d'immensément grands et invincibles sommes-nous devenus si insignifiants, quasi-livides?
Derrière la porte, une lumière vacille, petite, fragile, c'est ainsi qu'on la perçoit. On s'approche, soudain plus vaillant, et plus vaillant encore. On outrepasse nos résistances, nos schémas, nos douleurs, nos froideurs, nos peurs. On oublie étonnamment vite comme on pleurait hier, pour ne se concentrer que sur aujourd'hui. Fi de nos angoisses, des énergies tierces, des craintes des autres, nous voilà sans masques, face à cette lumière, qui grandit, s'intensifie, se gonfle de puissance et d'espoir. C'est le feu maintenant, c'est même la joie qui prend de l'ampleur. Nous voilà face au soleil. Il n'est plus possible de reculer, la lumière est là, cette lumière, c'est la vie.
On n'atteint cette lumière qu'en dépassant l'ego, la peur, l'apparence, les croyances, les "on a toujours fait comme ça", les systèmes, les appareils. En se délestant, des souffrances et des sacrifices qui ne nous appartiennent pas, on prend son envol, on déploie ses ailes, on crée, on rebondit, on s'incarne, de concert. On est soi, mais en pleine lumière, on est soi mais en mieux.
Mais il a fallu traverser la tempête pour atteindre le soleil, il a fallu lâcher les rennes, faire confiance, déléguer, délester; il a fallu accueillir, comprendre et laisser passer l'ombre; il a fallu la douleur pour savoir que le merveilleux était là, depuis le début, sous la poussière des rancœurs et des vieilles ficelles inutiles, des vieux démons, des souffrances qui venaient d'ailleurs. C'est un reset, une étincelle, un nouveau départ qui nous attend. Des choix, assumés; des directions, à emprunter: de l'épaisseur aussi, des rêves à accomplir, un chemin à suivre, libres, joyeux, sereins, des mains, des bras à serrer fort, pour n'être plus jamais seuls.
C'est fou comme, quand on croise quelqu'un sur le chemin de la vie, on n'a aucune idée de ce qu'il traverse. Soyons gentils, toujours. Tout ira bien. Pas pour l'autre uniquement, pour notre paix à nous. On fera de grands voyages,des tours de grand 8, des loopings, des réceptions hasardeuses, on déjouera des mauvais sorts, mais tant qu'on est face au soleil, il ne nous manquera ni force ni courage, ni mots, ni joie, pour arriver enfin au pied de l'arc-en-ciel et oser aller de l'autre côté du miroir.
Alice - De l'autre côté du miroir (troublante coïncidence) Lewis Caroll - Walt Disney Pictures |
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