Les bons vœux et la platine vinyle

Il est de coutume de se souhaiter les bons vœux à cette période de l'année, et si je trouve que c'est une jolie tradition, je dois avouer être assez agréablement surprise de la voir se perpétuer après tout ce qui vient d'être traversé, dit, lu, subi. Collectivement, 2020 n'a pas été un cru exceptionnel, loin s'en faut. Mais personnellement, cette année a été riche d'enseignements, pour nombre d'entre nous.

 

    Alors que j'écris ces lignes, mon attention est happée par de minuscules petits flocons de neige se posant sur le velux de mon salon, et le vinyle que j'ai lancé il y a environ 5 minutes, vient de terminer son tour de piste. Et c'est comme ça que m'est venue l'idée de ce post de nouvel an. Bien sûr, je vous souhaite à toutes et à tous d'être très heureux, de profiter de ce que vous avez, de vous émerveiller de ce que la vie vous apporte, d'être à l'écoute de la leçon dans chacune des épreuves qu'elle mettra sur votre chemin. Je lis beaucoup d'injonctions au bonheur, on nous exhorte à être heureux, encore faut-il que nous en ayons envie.
    Certains d'entre nous, très proches de nous parfois, ne sont pas prêts. Ils n'ont pas envie de l'être, ils s'en pensent privés, ils se croient maudits. Leur chemin est encore long. D'autres pensent au bonheur comme un truc chiant et lointain, qu'ils verront éventuellement plus tard. D'autres encore, savent qu'il existe mais sont davantage accaparés par la distance qui les en sépare. J'ai envie de vous dire, chacun son rythme. 
    Vous n'êtes obligé de rien. Vous n'êtes les obligés de personne surtout. Si vous sentez que le plomb vous pèse, pourquoi ne pas tenter un premier pas vers la liberté ? Si le bonheur ne vous plaît pas, rien ne vous empêche de retourner au malheur, après tout. 
Je trouve que nous sommes trop durs, trop empressés, à vouloir toujours le bonheur de tous, tout le temps, moi la première. J'espère le bonheur de mes proches si ardemment que parfois j'en oublie que certains ne le souhaitent pas du tout. Ils sont bien dans le confort de leur bouse et ne voient vraiment pas pourquoi ils changeraient pour un hypothétique bonheur qui de toutes façons, ne dure pas, si l'on en croit la rumeur. 
    Dernièrement, alors que j'échangeais des vœux de Noël avec mon cousin, en Italie, il s'est inquiété de mon célibat, avant de se reprendre et de s'excuser d'avoir peut-être été intrusif. 
Ce sujet revient régulièrement : pourquoi suis-je seule ? Pourquoi n'ai-je pas d'enfant ? Pourquoi alors que je prône l'amour, ne suis-je pas, moi-même amoureuse ? D'abord, qui a dit que je ne l'étais pas ? Premièrement, ce n'est pas parce que je ne m'affiche pas sur les réseaux sociaux que je n'aime personne, jamais. Ensuite, c'est comme le bonheur, certains ne sont pas prêts non plus à briser leur cœur déjà rapiécé mille fois au bas mot. Je ne déclare pas mes sentiments facilement, grâce à l'expérience, qui m'a appris à me taire et à patienter. Par la force des choses. J'ai recollé, rapiécé, raccommodé mon cœur tellement de fois qu'il n'y a plus de place pour faire passer un nouveau fil. Quand je voulais avoir des enfants, je ne savais pas que je n'avais pas fini de guérir mes blessures. Vu mon histoire, je n'aurais jamais voulu faire souffrir un enfant innocent, alors que je n'étais pas en mesure de me gérer émotionnellement. Ce ne sont pas des excuses, c'est la vérité. Ma vérité. Mon enfance n'a pas été heureuse, mon adolescence encore moins. Il n'était pas question que je reproduise des schémas et des erreurs sur un être innocent, dont je serai responsable, et de lui et des souffrances à venir, des erreurs que je commettrais, des heures de psychanalyse que je lui transmettrais par avance. Alors, quand tous les ventres de mes amies s'arrondissaient, j'ai préféré me réparer dedans, d'abord. Force est de constater que les dégâts étaient plus importants que je le pensais, vu que j'ai 40 ans, dans un mois et quelques jours et que je suis seule, sans compagnon et sans enfant. Je ne suis pas malheureuse de ça. Je cherche la paix, et je le réécris, je ne me mettrai pas en couple avec le premier venu (ce qui n'est pas difficile du tout à faire et à la portée de tous, même la mienne, merci) pour rassurer la société. Je veux être en paix. Or, autour de moi, je ne vois pas beaucoup de couples en paix. Je vois des souffrances, des frustrations, des douleurs, des non-dits. Oui, il y a des moments de joie, mais l'équilibre, précaire, fragile, que j'ai trouvé, l'état actuel de mon cœur rafistolé, ne me permet pas du tout de prendre ce risque, aujourd'hui. Je suis navrée que cela fasse de la peine à mon entourage, fasse croire à ceux et celles qui me critiquent sans me connaître que j'ai forcément un problème, que je ne suis pas stable. L'empathie est une faculté qui se travaille, je ne me permets pas de juger les parcours des autres, ce serait tellement sympa d'arrêter de me juger, moi. 
    Donc voilà, certains ne sont pas prêts à accepter le bonheur, moi pour le moment, je ne suis pas trop chaude à l'idée de me faire encore du mal. Pourquoi du mal ? Parce que je suis entière, que j'aime totalement, passionnément, inconditionnellement, et que je ne supporte pas la médiocrité en amour. Les poussières d'attention, les conventions, les concessions, je ne comprends pas, je n'aime pas comme "tout le monde", j'aime vraiment. Et à l'heure actuelle, nul n'est prêt à accepter cela. Donc, merci pour la bienveillance ou pour la réassurance que vous êtes normaux par rapport à moi, j'ai confiance en la vie. Si quelque chose est prévu pour moi, ça arrivera. J'ai même la sensation que c'est déjà arrivé. Wait and See.
    Je vous le disais, les vœux de nouvel an, c'est une tradition désuète que certains trouveront convenue. Quelques-uns détestent l'obligation d'être poli et gentil, d'autres ne supportent pas ce qu'ils considèrent comme de l'hypocrisie. Certes. 2020 n'ayant pas été une année globalement heureuse, nombreux sont ceux à avoir été tentés de la jeter aux oubliettes, oubliant donc, comme son nom l'indique, les enseignements qu'elle a apportés. Au cours du premier confinement, le ravissement pour la "nature qui reprend ses droits", le plaisir "de se retrouver en famille", ce qui "n'était pas arrivé depuis tant de temps", le calme, la sérénité, le silence, les applaudissements pour un personnel hospitalier aujourd'hui conspué, pas encore de théories du complot, de la fraternité, des concerts en visio, bref, un retour à la joie d'être humain, jeter tout cela me paraît un gâchis injuste.
Oui, le virus qui nous a frappés les uns les autres, nous a contraints à modifier nos "zones de confort", à quitter nos boulots à la con (bullshit jobs) à repenser nos priorités, à revenir à nous. Et pour les gens seuls, comme moi, à se regarder en face. A se connaître, à s'apprivoiser, à s'accepter. La solitude, que je subissais, dommage collatéral de mes choix de vie, réfléchis mais passionnés, je l'ai ressentie profondément, violemment, frontalement, dès le début de l'année et jusqu'à ses dernières heures. Le virtuel a été omniprésent, malgré moi mais heureusement, finalement. Mes relations, des plus sacrées aux plus lointaines ont été fragilisées, il faut être au moins deux pour que cela fonctionne. Pourtant, professionnellement, je n'ai pas arrêté une seconde, j'ai créé, découvert, réalisé. Et j'en ai bavé aussi, ce n'est pas grave ou sale de le dire, je n'ai pas été plus malheureuse qu'en 2019, bien plus qu'en 2018, bien moins qu'en 2013. Cette année particulière n'a épargné personne, nous sommes tous ressortis rincés, fatigués, même pour les plus heureux d'entre nous. Réelle : 1 an, ressentie : 10. 
    Alors, niveau bons vœux, je vous souhaite de faire vraiment ce que vous voulez, et d'être vous-mêmes, de vous débarrasser de vos masques, de vos costumes trop grands, de vos croyances limitantes, de vos saboteurs et de vous accomplir, si vous en avez envie. Je ferai de mon mieux, à titre personnel. Et surtout je ferai en sorte de m'aimer vraiment. Vu que je passerai beaucoup de temps avec moi, autant commencer par là. A ce propos, le 11 janvier, Alexandre Prévert organise un contre-JT qui pourrait bien vous plaire... si ça vous dit. On en a parlé ici. Choisir le bonheur, c'est être conscient de ce que cela implique, et nombreux sont ceux qui se jettent dans le bain sans savoir qu'être heureux est une décision radicale. Revenir en arrière est compliqué, et accepter d'être heureux requiert du courage. Du coup, on comprend mieux ceux qui hésitent.
    J'ai donc eu envie d'écrire ce post de nouvel an quand mon vinyle s'est arrêté, me faisant la réflexion qu'il ne s'agissait clairement pas d'un objet créé à notre époque. Il faut goûter l'instant présent, avoir la patience de se lever pour tourner le disque, en prendre soin et faire attention qu'aucun grain de poussière ne vienne bloquer son fonctionnement, être conscient que pour que cela dure, il faut être à ses côtés. C'est un peu comme l'amitié, la platine vinyle. On dirait que ça roule tout seul, et le moindre grain de poussière peut tout faire dérailler, si on n'y prête pas attention, ça s'arrête et il faut une intervention humaine pour que la musique reprenne. C'est un peu comme la vie, aussi. Avoir une platine vinyle, c'est accepter par avance qu'il faudra faire des efforts, se lever de son canapé pour avoir du plaisir, profiter du plaisir tant qu'il est là, car tout ce qui est beau est éphémère, et que, pour que les belles choses durent, se renouvellent, il faut en prendre soin. La flemme, les croyances, l'indifférence, la froideur, l'inattention, les apparences, tout ça, ce sont des grains de poussière qui peuvent bloquer l'énergie vitale, l'amitié, la puissance de la joie. 
    C'est rien du tout quand on y pense, ça prend deux secondes, de se lever pour appuyer sur un bouton, pour que la musique ne s'arrête pas, pour que le disque reparte, pour que le son s'insinue dans nos veines. Mais ça demande une mise en mouvement. Prendre soin de ses disques, de sa platine, de la musique, c'est comme prendre soin des relations humaines, des autres, de soi. Cela requiert du courage. C'est ce qui fait que l'on est vivant, pas un robot, pas un zombie. Un humain, avec du sang qui coule dans les veines et un cœur qui bat, encore. 
C'est donc, chers joyeux ce que je vous souhaite, du plus profond de mon âme, et pas seulement en 2021.D'être toujours des humains,de vous émerveiller des petits flocons qui dansent devant votre fenêtre, d'avoir le courage de vous lever pour profiter de la musique de la vie.  Je vous embrasse. 



Commentaires

Articles les plus consultés