Au centre de l'attention

Ce sont des mots, rien que des mots, toujours des mots...c'est un refrain connu, mais c'est surtout une réalité. 
Tout commence toujours par des mots. Anodins, puis réguliers, ils arrivent à faire esquisser un sourire, et créent petit à petit une complicité, une connivence. Quelque chose s'installe, un lien, une familiarité presque on a l'impression de compter. C'est ce qui compte, ce qui nous tient en haleine, des heures, des journées entières. C'est l'endorphine, c'est comme une drogue. Compter, c'est ce qu'il y a de plus beau, est-ce un pêché d'ego ? Aucune idée, peut-être, en tout cas, se sentir proche, avoir l'impression d'être important(e) aux yeux de l'autre, cet autre qui apparaît soudainement dans notre vie, comme par miracle, cet autre auquel on ne s'attendait pas et qui pourtant nous renvoie une image merveilleuse. Nous sommes important(e) aux yeux de quelqu'un. 
Bien sûr, avec ces mots qui nous cueillent, avec ces points de suspension qui nous titillent et nous poussent à vouloir en savoir plus, avec ces belles phrases, ces tournures, cette délicatesse des débuts, on est sous le charme. Et ce n'est pas seulement un sentiment féminin, non. Les hommes aussi peuvent tomber dans cet ensorcellement des débuts.

Et peu importe la suite, croyons-nous, naïvement, peu importe tant que durent ces échanges, on est pressé de terminer ce que l'on fait pour un message, à chaque vibration du téléphone on espère plein d'excitation que ce sera cet(te) autre qui accapare soudain toutes nos pensées. On ne peut plus se concentrer sur quoi que ce soit. Les échanges sont intéressants, doux, simples, addictifs. On croit que l'autre est fait de cette façon, que tout est simple et c'est tellement reposant. 
Ces mots-là, échangés, susurrés, désirés, durent, ils laissent une empreinte dans notre chair et notre mémoire, au fond de nous, ils résonnent longtemps. Ils sont écoutés, choyés, lus, relus, usés de nos yeux ébahis d'être au centre de l'attention, nous, rendez-vous compte ! Nous qui généralement passons plutôt inaperçus, nous, au creux d'un marasme de vie, d'un ennui, d'une langueur...chez qui plus rien ne se passe depuis des lustres, chez qui il manque clairement un peu de feu, un peu de pétillant, un peu de sucre pour panser les plaies. 
Est-ce du narcissisme ? Peut-être, et quand bien même ? On a bien le droit de compter, nous aussi, enfin, pour quelqu'un. On a aimé, été aimé, bien sûr. Mais la passion s'est éteinte bien vite, et les sentiments ont subi l'érosion du temps. On ne peut pas lutter contre une nouvelle flamme qui fait briller nos yeux. Les anglais ont un mot pour cela, ils parlent d'infatuation cette inclinaison nouvelle, ce béguin, ce "crush". C'est une petite musique qui se rallume au fond de nous. On croit que c'est inscrit sur notre visage, cette joie nouvelle, ce pétillement. On crépite, on est heureux(se). 

Et soudain. Plus rien. Des fois, cela se délite doucement, on comprend mal un message, on interprète un silence, on sent le disque se rayer. Des fois, on ne voit rien venir. Notre place est prise, nous sommes soudain passé(e) de la lumière, des feux de la rampe, à l'anonymat, à nouveau. Souvent, on n'a pas eu le temps d'en profiter vraiment. On aurait aimé, mais ça n'a pas duré. 
A quoi nous attendions-nous au fond ? Que savions-nous concrètement de cet(te) autre, à qui nous dédions notre temps, notre énergie, notre espoir ? Il y a cette chanson de Pascal Obispo, qui doit être passée dans un oubli certain, "l'échappée belle", On a eu l'échappée belle/Frôlé l'amour de peu/On a eu l'échappée belle/ A jouer avec le feu / Quelques secondes en plus/ Mais que seriez-vous devenue/ Basculant, éperdue/ Avec un inconnu" Exactement. Mais ce qui pique le plus c'est de passer si vite de tout à rien, sans raison. Tout comme le lien était né sans raison, d'ailleurs, si on se souvient bien.
Quelques mots, tout au plus. Pourquoi avoir poursuivi ? Pourquoi s'être laissé(e) prendre au jeu ?
Le pire, c'est d'essayer de comprendre.Le pire, c'est de s'accrocher, de vouloir savoir, de vouloir rationaliser un lien irrationnel. Parce que ce qui ressemble à un mirage ne peut avoir de sens, pourquoi chercher un sens à tout ? 

C'est le tort des hypersensibles, vouloir comprendre, vouloir savoir, vouloir aller au fond des choses. Quand rien n'a de sens, quand des gens passent dans notre vie, bousculent tout, nous réveillent, pour ensuite nous ignorer et ne plus nous accorder d'attention, on a tendance à vouloir comprendre les raisons. Mais l'autre ne répond plus. C'est terminé, le signal est perdu. Il est sur une autre fréquence, vous avez sûrement dû lui montrer trop d'intérêt. Petite chose fragile qu'est l'intérêt n'est-il pas ? Il faut un juste milieu, qu'on n'atteint presque jamais. Toujours est-il que, l'objet de nos pensées, de nos désirs, l'être cher qui pouvait nous écrire sans discontinuer des jours et des nuits entières, s'évapore aussi vite qu'il s'est matérialisé et nous n'avons pas le loisir de lui demander pourquoi. Comme le génie qui a soudainement le besoin de retourner dans sa lampe. Un jour ou l'autre, il ou elle réapparaîtra, par inadvertance, par hasard, par curiosité. Mais le cœur amer, la peau marquée à vie par le rejet de soi, par la perte de 'l'attention" de l'autre, tout ceci sera plus fort et on se montrera méfiant, fermé, distant. 
C'est étonnant comme être "au centre de l'attention" peut nous faire vibrer et nous faire trembler. On ne peut pas dire "sans avoir rien demandé" parce qu'on en a redemandé. On a voulu savoir ce qu'il y avait de l'autre côté du miroir. 
Avec le temps, j'ai compris que c'était dans l'air du temps et que, comme Alice, il était sage de s'en souvenir comme si nous avions simplement visité le pays des Merveilles. Ça avait l'air si réel, on a même des preuves que c'était vrai, des messages, des textos, des mots griffonnés ici et là...oui, mais c'est fini. Évanoui, disparu, ne restent que les souvenirs et le mieux, si jamais nous retournions en songe visiter cet endroit délicieux, c'est de le savourer, car à présent on sait, qu'il ne dure qu'un instant. Et c'est ainsi, que l'on mûrit. 





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