Que restera-t-il de nous ?

Les changements de rythme ont cela en commun : s'ils sont expliqués clairement, nous avons le temps de nous y adapter. S'ils sont mis en place progressivement, nous ne les subissons pas. Il nous est possible de les accepter, ou non. De nous y adapter, ou pas. Comme le changement d'heure, par exemple, qui pour la première fois en presque 40 ans me tient éveillée, triste, larmoyante, sans repères, déboussolée.

Pourquoi ces idées noires, au petit matin ? Parce que je suis au cœur d'une tempête, sans doute. Parce que je suis sur un navire branqueballant. J'ai sous-estimé ma capacité de sur-adaptation. J'ai le cœur en morceaux, et plus de colle pailletée. J'ai cru que je pourrais tout assumer, j'ai cru être de taille, que les larmes pouvaient attendre la pluie pour passer inaperçues. Mais j'ai eu tort. Je ne suis qu'un être humain, en fait. 

Sous mes airs de femme forte, sous mes allures de guerrière, la fragilité est bien là. Et alors que je rassemble ce qui me reste d'énergie pour ne pas flancher, que je me raccroche à ce qui semble être stable, c'est un nouveau, un énième, un violent changement de rythme qui s'impose à moi.

Les anxieux ont besoin de rituels dans ce monde un peu fou. Les anxieux, comme moi. Ceux qui pensent trop, ceux qui ne se pensent pas à la hauteur, qui voudraient tout contrôler mais ne gèrent rien, auraient besoin d'un câlin juste pour entendre qu'ils sont capables. Mais qui se confrontent au silence.

Les rituels sont là, pour ces gens décalés, comme des garde-fous. Comme des petits lutins bienveillants qui les gardent hors de l'eau. Ils s'adaptent les anxieux. Ils ont si peur de ne pas être aimés. D'être laissés pour compte, eux qui n'ont déjà pas l'impression de compter. Alors, quand ils sentent le changement poindre à l'horizon, pour peu qu'ils soient intuitifs, ils paniquent. Mais en silence. Ils cherchent des moyens pour ne pas déranger ni souffrir trop. Pour rester debout malgré la houle des pensées incessantes qui font tanguer la frêle embarcation de leur vie. 

Des fois, voire même toujours, les rituels instaurés ne le sont pas de leur initiative. Ils les acceptent, implicitement. Ils s'y prêtent, de bonne grâce. Ils en acceptent tous les contours, les conséquences, les éventuelles épines et sont reconnaissants. Les rituels font des anxieux des gens qui ne comptent pas pour rien.

Ils voient les rituels changer, concèdent, sans crier gare. Les anxieux ne sont pas translucides, ils ont le feu sacré. Mais ils ne veulent pas blesser. Ils sont déjà tellement chanceux, d'exister. D'être en vie et de compter pour quelqu'un, voilà leurs seuls trésors.

Mais voilà. Un jour, quand tous les rituels auront disparu, un jour où ils deviendront invisibles, un jour alors les anxieux seront vides, ternes, fanés.

Et ils se demanderont...ai-je vraiment compté? Avais-je de l'importance ou juste une certaine utilité ? Étais-je seulement digne d'être aimé? Quelle a été ma place sur cet échiquier ? 

Oui, les anxieux réfléchissent trop, se réveillent en sursaut au milieu de la nuit, quand ils réalisent, soudain, que les rituels, même choisis par d'autres, les ont maintenus dans une certaine période, douce, chaude, enveloppante. Et que le dernier rituel disparu, un message, une attention, une pensée, ils se demanderont, en recollant ce qui reste des miettes de leur cœur..."que restera-t-il de nous? "

Alors, observez les gens autour de vous. Les anxieux sont discrets avec ce qu'il y a au fond d'eux. Un voile sur un sourire, des yeux un peu plus brillants qu'à l'ordinaire...parlez. Expliquez, prévenez, prenez soin des anxieux qui vous aiment. Comme s'il s'agissait de petits bonsaïs, faites attention à eux. Ils s'adapteront sans perdre leurs feuilles, leur sève et leur éclat, si vous expliquez avec douceur et pédagogie, les changements de rituels que vous souhaitez instaurer entre vous et eux. Si vous tenez à eux... le temps est venu de leur montrer qu'ils sont aussi importants que vous le leur avez fait croire: faites-leur confiance.

Ainsi, plus besoin de se demander ce qu'il restera de vous, puisque vous serez ensemble, pour le vivre, sans emprise....les mots sont des fenêtres, sur soi et les autres, anxieux, hypersensibles ou juste...amis. 


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