Ce ne sera plus jamais comme avant, ce sera mieux

Mes chers joyeux,

Je vous écris ce soir, pour vous réconforter, vous rassurer, vous prendre dans mes bras, vous dire que tout ira bien. Ce ne sont pas des mots vains, car cette situation, à laquelle vous êtes confrontés aujourd'hui, je la vis. Je la vis depuis 2 ans. 

Je viens donc du futur, vous dire que l'on survit à l'isolement temporaire, parce que je le vis depuis que je suis arrivée dans cette nouvelle région. A quelques exceptions près, je passe mes jours et mes nuits, mes matins, mes midis et mes soirées chez moi. Seule.

Il n'est pas fréquent que je voie du monde, mes week-ends et mes journées se confondent, je ne sors que lorsque c'est nécessaire, je ne bouge que si j'ai une raison, et je rentre, chez moi.

J'y passe mes jours de travail, entrecoupés de quelques moments difficiles, où la solitude m'étreint. J'aimerais, alors, vous serrer dans mes bras, mais vous êtes loin, ou près, mais loin quand même. Parfois, nous nous appelons, quelques fois, nous nous voyons. Souvent, nous nous écrivons en silence, sur ces réseaux sociaux qui ont l'avantage de nous relier.

Je travaille donc de chez moi, depuis un an et demi déjà. Avant cela, j'avais un travail, loin de chez moi. Quand je rentrais, je ne voyais que peu de monde, et en tous les cas, à une ou deux joies près, je me sentais horriblement seule. Terriblement seule, définitivement seule au monde, désespérée parfois.

Je me suis parlée à moi-même, j'ai mis de la musique, j'ai pleuré sous la douche, ou en silence derrière mon écran. Ah oui, ça, l'adaptation, ça n'a pas été simple. Je me suis demandé si ça durerait toujours, j'ai pété des câbles, j'ai crié, j'ai sangloté, j'ai supplié le monde de m'entendre, mais je restais sans voix. 

Bon après j'ai bu des tisanes en pyj et en faisant des puzzles toute la journée, j'ai trouvé un clavier et me suis remise à pianoter, j'ai colorié, j'ai peint, j'ai même fait de la poterie. J'ai lu des kilomètres de mots, j'ai bu des litres de café, de thé, d'eau pétillante et tout cela je me le suis sans doute imposé à moi-même.

Eh oui, il n'y avait dehors, ni épidémie, ni danger, ni guerre, ni quoi que ce soit qui m'y obligeait. Pourtant, je ne sortais pas, je ne bougeais pas. Très souvent, du matin au soir je ne suis pas sortie. Très souvent, mes week-ends se résolvaient en netflix, articles, et réseaux sociaux, entrecoupés de livres et de magazines.

Je ne me suis pas reconnue, moi d'ordinaire et depuis toujours si sociable. Que m'arrivait-il? Certes, sans revenus confortables, je m'astreignais au minimum, les amis que je m'étais fait ici, habitaient loin, ou avaient une vie sentimentale qui faisait que, forcément, alors qu'à Lille je connaissais à peu près 50 % de la population, j'avais dû m'adapter.

Et je me suis adaptée. J'ai vécu cette vie de recluse, des semaines, des mois, une année et demi. Alors, ces circonstances exceptionnelles que beaucoup d'entre vous perçoivent comme ingérables, catastrophiques, cataclysmiques...sachez qu'on en ressort, on y survit. Et je me demande si ce que j'ai vécu ces derniers mois, n'était pas une préparation inconsciente de ce que je DOIS comme vous tous m'astreindre à vivre aujourd'hui.

Je préfère les embrassades, je préfère les terrasses de café, je préfère les bisous et les goûters, les bouffes entre amis, les raclettes, les paëllas, les méchouis. Oui. Comme vous, je préfère sortir, danser, chanter, aller me baigner au lac et prendre du temps, avoir le choix. Comme vous.

Et tous ces mois, j'avais sans doute le choix. Pas les moyens, pas la compagnie, pas le mood, mais le choix oui.

Alors j'ai dû apprendre la patience, et ça n'a pas été facile, j'ai dû apprendre à gérer le manque de chaleur humaine, le manque de contacts, le manque de vie en commun, le manque d'interactions. J'ai dû surmonter, pour ne pas sombrer. Ne croyez pas que j'exagère, je n'en ai jamais parlé jusqu'ici et je ne pensais pas devoir le faire. Si je le fais, c'est pour vous dire que j'ai découvert des choses incroyables. J'ai découvert qui j'étais, j'ai exploré mes émotions, j'ai écrit des cartes, j'ai ajusté sans cesse mon expérience improbable pour en faire un festin. J'ai commencé à me réconcilier avec moi-même, avancé dans mon apprentissage de l'espagnol, grâce aux séries télé. 

J'ai réappris à cuisiner, j'ai trié, rangé. J'ai refait le monde au téléphone aussi, beaucoup. Cette solitude-là, je la remercie aujourd'hui, c'est fou hein? Elle s'est imposée à moi, je n'en voulais pas. Je ne savais pas qu'elle serait là, qu'elle m'attendait et à quoi elle servait. Et maintenant que vous allez tous y être confrontés, sans le vouloir, sans le savoir, sans la comprendre, je vous l'assure, c'est temporaire, on en ressort grandi, on en ressort vivant, tellement plus qu'avant.

Tout ce qui nous arrive aujourd'hui, regardez bien. Depuis combien de temps, courez-vous après le temps? Depuis combien de temps, ne vous êtes-vous pas retrouvé seul, ou en famille juste avec votre mari et vos enfants? Depuis combien de temps espériez-vous pouvoir vous arrêter? Ralentir le temps, avoir le temps, prendre le temps. Il est là. C'est obligatoire, ça vous sauve la vie, ça nous la sauve à tous. Et surtout, c'est temporaire. Jamais rien ne dure. Les moments compliqués non plus. Je l'ai appris à mes dépens, avec cette expérience.

Et puis, la vie fait parfois des choses étranges, des choix étranges. Ces vies humaines sacrifiées, c'est d'une tristesse infinie. Nous prenons conscience de notre finitude, de notre condition d'être éphémères nous aussi. On peut mourir. On va mourir. Dans quelques jours, cela fera 7 ans qu'une chouette nana est partie. J'ai sept ans d'avance du coup sur sa vie à elle, et je ne compte pas m'arrêter là, comme elle ne pensait pas s'arrêter non plus. Mais nous ne décidons pas de ces échéances...juste de ce que nous en faisons, de ce temps imparti. Alors il est peut-être venu le temps de se parler, de se découvrir, de se connaître, de s'écouter, de regarder ce qui nous entoure, de réfléchir, de repenser nos existences. De leur donner un vrai sens. Il est peut-être venu le temps de s'aimer. De savoir qui on aime et ce qu'on veut faire de sa vie, de se dire les choses, de ne plus attendre, de ne plus se gâcher. D'éliminer le superflu, de virer ce qui nous emmerde, de dire les secrets, de ne plus perdre de temps.

Tous les faux-semblants, les attitudes et les postures, toutes ces choses auxquelles on s'accroche et qui aujourd'hui, n'ont plus de sens...c'est une sorte de ménage que nous devons faire dans nos vies, ce temps obligatoire où il nous est imposé de se mettre en pause.

Témoin de cette époque exceptionnelle, parce qu'elle l'est, pas formidable, pas géniale, exceptionnelle, je vais continuer à écrire et à expliquer. A parler, à enseigner, à transmettre, et à aimer. Ah ça oui, vous pouvez me croire, je n'ai jamais cessé d'aimer, même seule, même loin, au sens propre et figuré, j'ai accepté mon sort en pleurant parfois, mais je n'ai jamais cessé de penser à ceux que j'aime et de leur envoyer des signes de mon attachement, visibles ou non.

Prenez soin de vous, prenez soin des vôtres. Nous serons plus forts à la fin, nous y arriverons. Je le sais parce que j'ai l'impression d'être passée par là déjà, d'avoir balisé le chemin.

Le silence est rempli de chants d'oiseaux, nous ne sommes pas menacés par des bombardements, il nous faut simplement être prudents. Nous le serons. Nous le sommes déjà. Pensez à tout ce que vous ferez après tout ça, imaginez quelle joie ce sera! Pensez à toutes ces retrouvailles à tous ces bons moments qui nous attendent. Pensez à ces fêtes, à ces baisers, à ce puissant moteur qu'est la vie qui reprend. Nous serons forcément meilleurs, nous serons reconnaissants d'être en vie. 

Après la pluie vient toujours le beau temps. Je vous embrasse fort, fort et encore un peu plus fort. 


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